Le jeudi 1er février s'est tenu l'événement Think Football 2018 qui proposait des ateliers et conférences sur les applications, le parcours client et les stades connectés. A peu près au même moment, la Poste faisait valoir sa vision de la Fan Experience (vidéo suivante) qui fait d'ailleurs l'objet d'une catégorie primée aux Stadium Business Awards. Le prix est décerné au "stadium, arena or major sports venue that has delivered consistently outstanding levels of service and fan experience at every stage of the customer journey." Nous pourrions ici puiser de nombreux autres exemples dans l'actualité marketing récente pour montrer en quoi la question de l'accueil et de la satisfaction des publics de spectacles sportifs travaille les professionnels du secteur. Cela fait pourtant plus de 20 ans qu'il existe une littérature académique foisonnante envisageant le spectacle vivant comme une expérience de consommation immersive. Dans un chapitre à paraitre prochainement dans un ouvrage coordonné par Michel Desbordes, Pascal Aymar et Christopher Hautbois aux éditions Amphora j'essaie d'aborder ce concept en mêlant fondements théoriques et cas pratiques. Je livre ici un court extrait du chapitre. Les étudiants de plus en plus intéressés par la question trouveront la bibliographie complète du chapitre.
" Nous pourrions dire du spectacle
sportif qu’il est essentiellement et nécessairement un produit expérientiel. Si il l'est par essence, c’est que la dramaturgie d’un spectacle à l’issue
incertaine entre des rivaux de niveau à
peu près équivalent fait ressentir des émotions inattendues (la joie de la
victoire, la peine de la défaite, la désillusion d’une relégation, l’espoir
d’une égalisation, l’excitation d’un retournement de situation…). S’il est par
nécessité c’est que l’organisateur de spectacle sportif ne peut se contenter de
faire reposer la satisfaction de sa clientèle sur un match à l’issue
incertaine.
Pour le dire autrement, le
caractère imprévisible du spectacle sportif est tout à la fois une force
considérable puisque le fan est amené à vivre des émotions fortes et des
moments exceptionnels, tout autant qu’une faiblesse puisque le prix de la place
n’assure en rien la qualité du spectacle. L’organisateur de spectacle sportif
ne peut donc considérer que « gagner » doit être la seule technique
marketing pour attirer du monde dans son stade. Cela reviendrait à indexer
l’affluence sur les seuls résultats sportifs et confier de fait la fonction de
responsable marketing … à l’entraineur. L’organisateur est donc amené à
optimiser la qualité de services périphériques pour que, même
en cas de défaite, le public soit fidélisé. Mark Cuban, propriétaire des
Dallas Mavericks, définit ainsi sa mission :
« We in the sports business don’t sell the game, we sell unique, emotional experiences. We are not in the business of selling basketball. We are in the business of selling fun. We are in the business of letting you escape. We are in the business of giving you a chance to create shared experiences. (source)»Il reste alors à cerner les formes prises par l’expérience de consommation à l’occasion d’un spectacle sportif en commençant par remarquer qu’elle ne se limite pas à la durée du match. Dans un article intitulé « Expériences de consommation et marketing expérientiel », Caru et Cova expliquent en quoi la nouvelle perspective expérientielle du marketing constitue une rupture épistémologique. Alors que traditionnellement il s’agissait d’acheter de simples services et produits qui répondraient à un besoin, la consommation expérientielle réhabilite le plaisir et même la subjectivité de l’individu. En somme, le plaisir remplace le besoin, la fonction fait place à l’émotion, l’utilité disparaît au profit de la ludicité, l’extraordinaire se substitue au routinier et le produit n’est plus seulement consommé mais co-produit. Détaillant le processus de génération de la consommation expérientielle, les auteurs identifient quatre temps :
- l’expérience d’anticipation qui prépare l’expérience.
- l’expérience d’achat ;
- l’expérience proprement dite ;
- l’expérience du souvenir.
Apparaissent ici les moments qui
scandent l’expérience du fan dans l’esprit des professionnels du sport :
Avant – Pendant – Après. C’est ce que dit par exemple Jean-Claude Blanc, directeur
général délégué du Paris Saint-Germain, en mars 2012 à l’occasion des rencontres
du football professionnel organisées par l’Union des Clubs Professionnels de
Football :
« l’expérience du spectateur commence avant d’arriver au stade, quand il commande son billet. Il doit être mieux traité. L’expérience du spectateur, c’est voir un spectacle de qualité, vivre un avant-match positif, et au retour retrouver sa voiture là où il l’a laissée ou avoir un accès facile aux transports en commun. » (source)
En allant plus loin, nous
pourrions citer les éléments suivants
- Avant : achat des billets, projection sur le match, accessibilité au stade, accès à du contenu exclusif lié au match
- Pendant : voir et vivre le match, accéder / générer du contenu sur son terminal, services de qualité, animations, confort et sécurité
- Après : accéder à du contenu qui incarne le souvenir et matérialise le bénéfice du fan (« jʼy étais »)
Considérant donc que l’expérience du fan ne se limite pas seulement à sa
présence dans le stade même si elle en est l’acmé, les professionnels
l’envisagent comme un flux d’événements dessinant une courbe d’émotions. A
titre d’illustration, le Stade de France se positionne comme un lieu d’expériences
à partager. Il envisage sa relation au visiteur/spectateur selon ces trois
temps. Avant le spectacle, il faut informer et vendre, faciliter l’accès au
site, accueillir. Pendant le spectacle, il faut créer l’ambiance dans le stade.
Après le spectacle, il faut maintenir la relation. Associé à Orange, le stade
de France travaille sur le concept de parcours client avec pour ambition de « valoriser au maximum les moments
d’émotions » en créant « un stade interactif et participatif dans le
cadre d’un contrôle d’accès enrichi et sécurisé, et faire du mobile un vecteur
d’émotion. » (voir le livre blanc du parcours client d'Orange Business Services)"
Bibliographie
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J'invite les étudiants intéressés à vérifier auprès de leur BU la disponibilité des ouvrages ou les droits de consultation des articles en ligne.
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