lundi 19 août 2019

Le juste prix



Entre 2013 et 2017 j'ai signé quelques chroniques dans le rubrique éco de France Football (d'abord dans la magazine puis pour le site, voyez ici). La rubrique partagée avec d'autres collègues universitaires et experts du sport professionnel est de retour. J'y propose un billet consacré à la tarification dans le foot. Cela permet aussi de valoriser la travail d'étudiants du master 1 Management Du Sport de l'Université de Caen qui ont travaillé sur des relevés du coût d'une expérience matchday dans le foot. Je propose ici une version augmentée de ce billet. 



Le grand-chassé croisé de l’été ne concerne pas que les automobilistes. A l’instar des juilletistes et des aoûtiens, des événements sportifs viennent aussi à se croiser. Ainsi la ligue 2 débute-elle le même week end que s’achève le Tour de France, en attendant la reprise de la Ligue 1. Et d’ailleurs s’il fallait distinguer le football du cyclisme, peut-être faudrait-il rappeler cette évidence : on paye pour voir un match dans un stade lorsque les bords des routes font office de tribunes gratuitement accessibles. 

Rappelons que les recettes billetteries constituent un enjeu important pour le développement économique des clubs français. Selon le rapport de la DNCG pour la saison 2017-2018, les recettes matchs s’élèvent à 209,3 millions d’euros pour la ligue 1 et la ligue 2, en progression de 2% par rapport à la saison précédent. Il s’agit pourtant du dernier poste des recettes derrière les droits télévisuels, les produits divers (dont le merchandising) et le sponsoring, ne pesant que 11% dans le business model des clubs français. Considérant qu’il faut encore améliorer les affluences, considérant aussi que la demande et le prix sont intimement liés, la question de la tarification devient un enjeu stratégique. Que faut-il alors faire? Baisser le prix des billets pour remplir les stades ? Ou les augmenter pour réaliser un chiffre d’affaires plus conséquent? Ces questions aussi simplement posées ont animé les universitaires travaillant sur sport professionnel. Les économistes et les spécialistes du marketing ont ainsi publié de nombreux travaux académiques.

compte de résultat cumulé, Ligue 1/Ligue 2 (DNCG)

Les premiers, pour l’essentiel des économistes du sport américains, se sont intéressés au prix du spectacle sportif depuis le début des années 1970 (Roger Noll a écrit une des premières contributions consacrées à cette question : « Attendance and price setting » dans l’ouvrage government and the sports businessparu en 1974). Les économistes ont appliqué au sport l’élasticité prix de la demande qui permet de mesurer la réaction de la demande à une variation du prix. Imaginez un club de ligue 1 qui parviendrait à vendre 1000 places dans une tribune au tarif de 20 euros. Il réaliserait alors un chiffre d’affaires de 20 000 euros dans cette tribune. Que se passe t-il s’il porte le tarif à 25 euros? Disons qu’il perd 150 spectateurs. Certes, la recette a augmenté de 1150 euros mais la tribune est dégarnie. Il pourrait alors miser sur une augmentation de la demande en commercialisant les billets non plus à 20 euros mais à 18. Gagnant, disons 100 personnes, il perd 200 euros sur son chiffre d’affaires initial. Les travaux empiriques menés sur les différentes ligues fermées américaines amènent à considérer que le prix du spectacle sportif se situe dans la portion inélastique de la demande. Il s’agit d’un bien normal. En somme, une modification du prix altérera peu la demande. Les économistes du sport considèrent aussi que les propriétaires d’équipes commercialisent leurs places en deçà du tarif qui leur permettrait de réaliser le maximum de profits. Surement ont-ils une vision sur le long terme. Un stade rempli de fervents supporters peut influencer favorablement l’issue de la rencontre. De plus, peut-être faut-il mieux plus de spectateurs dans l’enceinte à moindre prix en misant sur d’autres sources de revenus (buvettes, boutiques). 

Pour affiner la théorie de la demande du spectacle sportif, vous pouvez vous reporter à l’ouvrage « The Economics of Professional Team Sports » (Routledge, 2000) de Paul Downward et Alistair Dawson ou encore « Sports Economics » de Rodney D. Fort (2003, Prentice Hall). Ce dernier a aussi publié un article intitulé « Inelastic Sports Pricing » en 2004. Dans « The Economics of Sport » de Robert Sandy, Peter J. Sloane et Mark S. Rosentraub, on trouve des données concernant plus particulièrement le football. Tout récemment, le réputé Journal of Sports Economics a publié deux articles consacrés à ce sujet : Competitive Intensity, Fans’ Expectations, and Match-Day Tickets Sold in the Italian Football Serie A, 2012-2015, publié le 24 juillet et The Impact of Variable Pricing, Dynamic Pricing, and Sponsored Secondary Markets in Major League Baseball, publié le 13 août
les recettes match en Ligue 1 (DNCG)
Du côté du marketing, dans l’introduction d’un numéro spécial de la revue Sport Marketing Quarterly de 2013 dédié à la tarification dans le sport, les universitaires américains Joris Drayer and Daniel Rascher expliquent que les travaux sur ce sujet sont assez récents. Cela leur semble surprenant considérant que des 4 P du mix marketing qui façonnent une offre (le prix, la promotion, « place » pour la distribution et le produit), le prix est le seul levier qui constitue un revenu et non une dépense. De nombreux travaux mobilisant la psychologie ont cherché à comprendre ce qui motivait l’acte d’achat (la qualité du match, celle du stade, l’influence de facteurs environnementaux). Les travaux sur le prix des places sont récents et abordent des problématiques toutes aussi nouvelles : le prix des places sur le marché secondaires ou encore les stratégies de tarification. Voyez par exemple l’article Factors Impacting Ticket Price Paid by Consumers on the Secondary Market for a Major Sporting Eventparu en 2018 dans le Journal of Applied Sport Management. En 2015, nous avions rapporté les travaux d’universitaires allemands, Christoph Kemper et Christoph Breuer qui avaient analysé la revente de place en Bundesliga sur le site ebay. Plus récemment ces deux chercheurs ont travaillé sur le club anglais de Derby County. Dans l’article « Dynamic ticket pricing and the impact of time – an analysis of price paths of the English soccer club Derby County » publié dans l’European Sport Management Quarterly. Ils ont analysé au jour le jour l’évolution de la tarification du club. Avec le Dynamic Ticket Pricing, le club anglais s’adapte à la fluctuation quotidienne de la demande tout comme peuvent le faire les compagnies aériennes et les hôteliers. En revanche, si ces derniers peuvent consentir à des rabais, le club anglais parvient à augmenter jour après jour ses tarifs (voir aussi l’article Dynamic Ticket Pricing in Sport: An Agenda for Research and Practiceparu en 2012 dans Sport Marketing Quarterly et Dynamic Pricing: The Future of Ticket Pricing in Sports publié sur le site de Forbes en 2012). 

Aussi intéressants soient les apports de l’économie et du marketing du sport à la compréhension de l’influence du prix dans l’acte d’achat d’une place pour un match, les résultats demeurent difficilement interprétables. D’une part, l’édification d’enceintes modernes permet une segmentation plus fine du public et l’élaboration d’une large gamme de tarifs en fonction des prestations associées à la place. On imagine qu’une modification du prix affectera différemment un spectateur selon qu’il s’agit d’un supporter en tribune populaire ou d’un notable en loge. D’autre part, l’acte d’achat est complexe et le prix n’est pas la seule variable à entrer en ligne de compte : quel est l’enjeu du match, son horaire? Fait-il beau, fait-il jour ? Qui est l’adversaire, des stars joueront-elles ? En vérité, ce n’est pas le même produit que vendent les clubs tous les 15 jours. Si la majorité des matchs relève d’un bien normal assez peu affecté par une modification du prix, d’autres peuvent témoigner d’une élasticité positive caractéristique des biens de luxe : une augmentation du prix entraîne paradoxalement une augmentation de la demande. Souvenez vous des affluences du PSG à l’extérieur sous l’effet Star Power de Zlatan Ibrahimović, David Beckham ou plus récemment Neymar. À l’inverse, une tarification totalement avantageuse pour un public ciblé (les femmes, les enfants, le public familial) ne sera pas nécessairement couronnée de succès car le produit match de foot est en concurrence avec d’autres sports, d’autres loisirs ou plus simplement la télévision. Demandez à un(e) ami(e) qui apprécie le foot sans plus, s’il/elle préfère regarder The Voice ou Danse avec les Stars ou aller voir un match quand bien même la place serait gratuite… Et si le club de votre ville évolue en Ligue 2, il peut alors être en concurrence avec Koh-Lanta… 

Remarquons enfin que si ces études sont possibles c’est qu’elles s’appuient sur des données pertinentes, notamment le Fan Cost Index de l’agence Team Marketing Report(voyez par exemple l’article Ticket Prices, Concessions and Attendance at Professional Sporting Events de Dennis Coates et Brad R. Humphreys qui mobilisent ces données.)


source :  Interactive Analysis of Fan Cost Index sur thebusinessofsports.com

Cette agence s’appliquent à estimer chaque année pour toutes les franchises des ligues majeures nord-américaines le coût d’une expérience matchday : combien coûte un billet ? Et la place de parking ? Et un soda ? En France, sinon de façon épisodique, il n’existe pas de relevé exhaustif et régulier. Signalons par exemple le relevé réalisé par le Parisien sur la Ligue 1 en mars dernier. Pour tenter de remédier à cela, des étudiants du Master 1 Management Du Sport de l’Université de Caen Normandie, en collaboration avec l’Observatoire du Sport Business, ont tenté de produire des données similaires au Fan Cost Index de l’agence américaine. Cela pourrait permettre de mener des travaux similaires à ceux exposés plus haut. Le thread suivant dévoile quelques résultats. On ne s’y limite pas qu’au prix du billet mais abordons d’autres produits et services disponibles lors d’une expérience au stade (relevés effectués au cours de la saison 2018-2019). Il s'agit maintenant d'affiner la méthodologie, de l'appliquer à d'autres sports et de pérenniser les relevés.

le prix d'une experience stade en Ligue 1, par Le Parisien

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