South Park, épisode "Go Fund Yourself" (source) |
J'ai été sollicité par l'émission "les dessous de l'image" pour intervenir sur les enjeux marketing et les controverses des logos sportifs. Assez peu sûr des mes capacités sur un tel format, je décline d'ordinaire les interviews vidéos. Admiratif depuis longtemps du travail de Sonia Devillers et téléspectateur des dessous de l'image (je recommande par exemple l'émission consacrée à la photo de LeBron James lors de son record de points), j'ai surmonté mon appréhension pour répondre aux questions du journaliste David Caillon. J'ai pour ligne de conduite de n'intervenir que sur des sujets sur lesquels je me crois légitime en produisant un discours qui sort du sens commun ou en tous cas documenté par de la littérature académique. Travaillant sur le marketing du sport au sens large, j'ai amassé une documentation et une bibliographie importante sur la question du logo dans le sport. J'avais préparé soigneusement l'entretien. L'exercice de la captation vidéo est périlleuse lorsqu'on y est pas habitué aussi mon propos a pu manquer de précision. Je livre ici une version rédigée qui vaut par les références académiques précisées en fin d'interview et les quelques illustrations.
On peut considérer que le logo d’un club, d’une ligue, d’une fédération ou d’un événement ne se distingue pas fondamentalement des logos d’autres industries. C’est la représentation graphique de l’identité d’une institution et de ses valeurs. Pour autant, le spectacle sportif a pour caractéristique de générer des émotions fortes en cela il va susciter une puissante adhésion affective du public. La charge symbolique, émotionnelle, historique du logo s’en trouvent découplée.
Qu’est-ce qui lie les fans aux logos, noms ou mascottes des clubs qu’ils supportent ?
L’attachement émotionnelle d’un supporter à son club est travaillé de permanences et mutations. Certaines choses bougent : les joueurs et les dirigeants passent, le stade peut être rénové ou un nouveau stade reconstruit. Les supporters ont besoin d’éléments qui garantissent leur identification au club. C’est le rôle qui remplissent le logo, le maillot, la mascotte dans une certaine mesure.
Pourquoi est-ce souvent compliqué pour les fans de voir évoluer leurs logos ?
Des études montrent que plus un supporter s’identifie à son club avec un lien émotionnel très fort, plus il sera réticent au changement du logo. Une changement radical du logo, disons la forme, peut affecter la fidélité à un club. Pour le fan investi, le logo est un blason, un emblème, une armoirie : c’est un signe de ralliement qui marque l’appartenance à une communauté. Or, les évolutions d’un logo sont motivées pour rajeunir la marque, la dynamiser, la globaliser. Les logos sont épurés et simplifiées. C’est un discours commercial qui heurte les supporters. Pour les uns le logo est un blason historique, pour d’autres c’est un visuel à poser sur des mugs à vendre. Ainsi des clubs impliquent dorénavant le public dans le choix du nouveau logo comme à Aston Villa ou Saint Etienne.
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Le logo est-il un enjeu important pour un club ?
Capital même. C’est le premier motif de reconnaissance d’un club. Le logo est immédiatement identifiable. Il faut des années pour installer une marque sportive, qu’elle soit reconnue, appréciée et finalement achetée. En de rares occasions, le succès d’un logo peut aller au delà de la notoriété d’une franchises. Qui sait que le N et Y entrelacés ne sont pas l’emblème de New York mais du club des Yankees? Dans les années 90, les produits dérivés de la franchise des Hornets en NBA avait un énorme succès grâce à son logo alors même que cette équipe n’a jamais rien gagné. Ces dernières années, partout dans le monde, des clubs ont radicalement changé leur logo, pour les épurer, moderniser, afin de conquérir un nouveau public. C’est le cas de la Juventus, du Paris Saint Germain, ou encore des Golden States Warriors en NBA. Pour ces 3 structures, qui ont d'ailleurs remporté leur championnat il y a peu, il s'agissait de ré-affirmer leur identité : un club "global" pour le PSG et la Juventus, un attachement local à la Californie en rupture totale avec les références amérindiennes pour les Warriors anciennement basés à Philadelphie.
Le logo de la NBA a été créé en 1969. Il est tellement iconique qu’on le surnomme au Etats-Unis: “The Logo”. Pourquoi est-il devenu bien plus qu’un simple logo ?
Ce logo a été créé plus d’une vingtaine d’année après la naissance de la ligue en 1946. Il a été conçu alors que la NBA était une ligue jeune, en concurrence avec d’autres sports établis comme le football, le baseball et le hockey mais également en concurrence avec une ligue rivale, l’ABA. En faisant un rebranding radicale, en prenant des codes couleurs qui existent par ailleurs, elle se met dans le sillage des grandes ligues de l’époque et affirme sa différence avec l’ABA. En mettant un joueur en avant, un joueur blanc, même si cela n’est pas une évidence sur le logo, elle cherche à élargir son public. Ce logo est mythique car il est associé à une marque dorénavant globale portée par des joueurs emblématique : Jordan, Magic, Bird. Peu de ligues de sport professionnel, la Premier League peut-être qui a d'ailleurs refondu son logo il y a peu, peuvent se targuer d'une telle notoriété internationale alors même que dans les années 80 la NBA souffrait d’une mauvaise réputation.
Est-ce que c’est compliqué de changer un logo comme celui-ci?
C’est compliqué, inutile et hasardeux. Compliqué parce que renoncer à une identité graphique, c’est en promouvoir une nouvelle. Il faudrait alors recommencer un travail de reconnaissance et d’acceptation d’une image à l’échelle globale en la faisant admettre du public et des marques partenaires qui affichent ce logo sur des produits dérivés. C’est inutile parce parce que le logo actuelle est reconnu die Nau delà de la simple communauté des fans de basket. C’est hasardeux car changer un logo ce n’est pas simplement changer d’image, c’est promouvoir de nouvelles valeurs, raconter une nouvelle histoire. Mettre la silhouette de Jordan, Bird, Kobe ou Bill Russel qui est décédé il y peu, positionne de façon différente la NBA dans la société américaine. En revanche, la NBA a assuré la promotion de ligues affiliées (la WNBA en basket féminin et la G League en ligue de développement) par un logo similaire ou presque. Depuis, ces ligues ont pris leur "indépendance graphique" et existent dans un autre code couleur.
Charlie Sheen dans "Major League" (1989). On voit clairement le logo décrié du Chief Wahoo. |
Pourquoi ces polémiques autour des logos, noms de franchises ou mascottes viennent-elle principalement des Etats-Unis?Pourquoi les peuples autochtones amérindiens sont-ils en première ligne ?
Aux Etats-Unis, la controverse sur les logos et mascottes tient à l'ampleur du phénomène et son ancienneté. Dans une base de données comprenant plus de 42 000 équipes dans le pays, le site Five Thirty Eight, a identifié plus de 2100 références amérindiennes : Braves, Chiefs, Indians, Redmen, Reds, Redskins, Savages, Squaws, Apaches, Arapahoe, Aztecs, Cherokees, Chickasaws, Chinooks, Chippewas, Choctaws, Comanches, Eskimos, Mohawks, Mohicans, Seminoles, Sioux... (voir aussi). L’imagerie véhiculée peut être jugée caricaturale, offensante et stéréotypée, comme le chief Wahoo pour les Indians de Cleveland. Les défenseurs de cet usage évoquent le caractère historique d’un nom attribué au début du 20ème siècle, ils mettent en avant le courage, le tempérament guerrier, la bravoure des peuples autochtones. Les natifs américains sont sous-représentés dans les médias de masse mais sur-représentés de façon caricaturale ou restrictive dans le sport avec l’imagerie du guerrier, du tomawok, et des plumes. Le nom des équipes, leur logo et leur mascottes peuvent être différemment appréciés et susciter des réprobation à l’intensité diverse. Certaines équipes vont conserver le nom jugé peu offensant mais limiter l’imagerie caricaturale, c’est par exemple le cas des Golden States Warriors en NBA, des Chiefs de Kansas City en NFL ou des Braves d’Atlanta en MLB. D’autres sont contraintes de changer de nom et de logo après des années de controverse. C'est le cas des Redskins de Washington en NFL et des Indians de Cleveland en MLB alors même que cette dernière franchise et son logo bénéficiaient d'une certaines popularité avec sa place dans la pop culture tirée du films Major League (Les Indians).
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Est-ce que ces revendications ont eu beaucoup d’écho en Amérique ?
Oui en considérant que si le consentement à faire évoluer l’identité des équipes est récente, c’est un débat qui travaille les états-unis depuis les années 1960. Il y a eu de nombreux sondages pour estimer si l’opinion américaine jugeait tel ou tel logo raciste ou offensant. Il y a eu aussi de nombreuses études académiques en sciences sociales qui tendent à démontrer que si la majorité des « caucasiens » ne voient pas le problème, les natifs américains et plus largement les minorités se sentent offensées par ces imageries caricaturales. En 2020, encore Président, Donald Trump dénonçaient le politiquement correct lorsque les équipes des Indians et des Redskins ont décidé de changer leur nom. Le sujet a même été traité dans un épisode de south Park. On ne fait pas plus polarisé, une Amérique qui apparaît plus divisée que jamais, en deux camps qui semblent parfois irréconciliables.
Bibliographie
Les articles suivants ont été consultés pour préparer mon intervention.
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