L'évènement marquant du week end n'est pas la somme des mauvais canulars du premier avril mais mais la plus belle des mascarades : WrestleMania XXVIII à Miami.
Et lorsque je dis "mascarade" ce n'est pas au sens figuré qui renvoie à une mise en scène trompeuse mais pour son sens premier : "un divertissement joué par des personnages déguisés". Alors oui, le spectacle de la World Wrestling Entertainment (WWE) est un peu factice, raison de plus pour essayer d'en comprendre ses ressorts avec un peu de légèreté. Pour déceler ce qu'est le catch en soi, il vous suffit de dévorer les excellents "cahiers du catch".
Mundus vult Decipi, Ergo Decipiatur
En complément, je reprends ici quelques extraits du chapitre "Be ready to be excited – Stratégie marketing et modèle économique de la WWE" que j'ai écrit dans Néo-marketing du sport - Regards croisés entre Europe et Amérique du Nord (ed : Michel Desbordes, André Richelieu).
"Be ready to be excited, be ready to be entertained and be ready for anything", John Cena
Dans l’épisode intitulé « W.T.F. », les garçons de « South Park » décident de monter la Wrestling Takedown Federation après avoir assisté à un spectacle de la WWE. Tray Parker, le créateur de la série, parodie le catch et plus particulièrement la WWE en insistant sur la théâtralisation outrancière de ces spectacles qui prennent le pas sur les habiletés physiques des Superstars. Ce faisant, la série met en évidence une caractéristique fondamentale de ce divertissement : « Wrestling is drama ».
Cela soulève de fait la question suivante : ce spectacle est-il vrai ou truqué ? Dans son autobiographie, le catcheur Mike Foley ne laisse planer aucun doute : « I’ll answer your question, or at least confirm your thoughts for you. Yes, wrestling is Entertainment, and no, I did,’t actually « win » the belt in the way that World Series or Super Bowls are won. » (Foley, 2001). Mais à vrai dire, la question de la véracité n’a aucune importance. Comme l’a détaillé Roland Barthes ("Le monde où l'on catche" dans Mythologies, 1957), peu importe aux spectateurs que le combat soit scénarisé, c’est un spectacle de l’excès qui emprunte son ressort dramatique aux tragédies grecques.
Il s’agit de jouer à croire et faire croire. Barnabé Mons (2009) rappelle que l’art du catch consiste à donner l’illusion des coups, à feindre de les donner avec conviction et de les recevoir avec douleur. Bret Hart, l’un des meilleurs catcheurs de l’histoire, explique que son art réside dans la façon de donner les coups de façon convaincante. La « plausibilité » (Believable) est une composante essentielle du combat de catch. Car, s’ils ne doutent jamais que le combat est arrangé, les fans adhérent aux émotions factices et surjouées des catcheurs et aux retournements de situation, tel qu’ils le feraient pour un vrai sport.
Dans le magnifique documentaire wrestling with shadow, Bret Hart explique l'art du catch
Le récit et la narration étant déterminants dans le succès de ce divertissement, il faut alors considérer que le storytelling est le carburant du moteur expérientiel de la WWE. En effet, selon Christian Salmon (2007, pp. 16-17), le storytelling « plaque sur la réalité des récits artificiels, bloque les échanges, sature l’espace symbolique de séries et de stories. Il ne raconte pas l’expérience passée, il trace les conduites et oriente les flux d’émotions. (…) le storytelling met en place des engrenages narratifs, suivant lesquels les individus sont conduits à s’identifier à des modèles et à se conformer à des protocoles. »
Le spectacle de la WWE répond à un protocole vecteur d’émotions en fonction des rôles assignés à chacun (public, catcheurs, annonceurs, commentateurs). La WWE crée de l’expérience par la théâtralisation incessante de ses spectacles immergeant les spectateurs dans l’authentoc. Loin de susciter défiance ou résistance, le spectacle du catch nécessite l’adhésion du public qui fait semblant d’être dupé. Tout se passe comme si le public préférait le simulacre à la réalité. Pour reprendre l’expression de Christian Salmon (2007), nous pourrions dire de la WWE qu’à l’instar de Disney, elle est une industrie productrice d’émotions qui nous propose des fables collectives. C’est donc par ce positionnement singulier que la WWE est un spectacle et non un sport.
Quelques chiffres sur WreslteMania
- L'année dernière, WrestleMania XXVII a attiré 71 617 dans le Georgia Dome d'Atlanta. L'événement qui se positionne comme "pop-culture extravaganza" a été diffusé en pay-per-view dans plus de 100 pays.
- WM XXVII aurait généré un impact économique de 62,1M$ pour la ville d'Atlanta. 75% de spectateurs sont venus d'en dehors d'Atlanta (et de 30 pays) et 61% y sont restés 3 nuits ou plus.
- Pour l'événement de demain, les billets ont été mis en vente en novembre dernier : les prix allaient de 25 à 850 $ et des “Gold Circle” VIP Packages étaient disponibles à 1500$.
- Les affluences depuis WM XV :
WM 15: First Union Center (Wachovia Center); Philadelphia, PA - 19,514
WM 16: Arrowhead Pond (Honda Center); Anaheim, CA - 18,742
WM 17: The Reliant Astrodome; Houston, TX - 67,925
WM 18: Skydome (Rogers Centre); Toronto, Ontario, Canada - 68,237
WM 19: Safeco Field; Seattle, WA - 54,097
WM 20: Madison Square Garden; New York, NY - 18,500
WM 21: STAPLES Center; Los Angeles, CA - 20,193
WM 22: Allstate Arena; Chicago, IL - 17,159
WM 23: Ford Field; Detroit, MI - 80,109
WM 24: Citrus Bowl; Orlando, FL - 74,635
WM 25: Reliant Stadium; Houston, TX - 72,744
WM 26: University of Phoenix Stadium; Glendale, AZ - 72,219
WM 27: Georgia Dome; Atlanta, GA - 71,617
WM 28: Sun Life Stadium; Miami, FL - ?
WM 29: MetLife Stadium; East Rutherfor, NJ- ?
J'aurai l'occasion de revenir plus en détail sur le modèle économique et marketing de la WWE. En attendant, j'espère avoir convaincu les sceptiques de se laisser tenter par la grande messe du catch qui constitue à mon sens, un must see du calendrier annuel du divertissement sportif US, au même titre que le superbowl ou le NBA All Star Game.
Au fait, je vous ai pas dit?
Je pars aux Etats-Unis ce mois d'avril. Au programme quelques matches MLB, NHL et NBA. J'un déjà un billet pour les Knicks vs Clippers au MSG, comprenez donc que je vais voir J. Lin, C. Anthony, B. Griffin et C. Paul. Je serai aussi au premier week end de la Coachella. Je ne peux encore m'engager sur ma connectivité, mais je m'appliquerai au mieux à partager mes expériences sur mon compte twitter @bhelleu.