samedi 24 mars 2012

Après les rencontres de l'UCPF, quelques réflexions sur le sport et les social media

Quelques données issues du rapport UCPF/Ernst & Young
Le jeudi 22 mars au Stade de France, l'Union des Clubs Professionnels de Football (UCPF) organisait les premières rencontres du football professionnel. Présidé par Jean-Pierre Louvel (Le Havre AC), succédant à Gervais Martel (RC Lens), L'UCPF est l'organe représentatif des clubs professionnels et de leurs présidents. Le site officiel de l'UCPF est d'ailleurs bien documenté : la lecture du mag "Profession Football" est plutôt utile pour quiconque souhaite appréhender l'environnement du foot pro. C'est à l'initiative de l'UCPF que l'on doit le rapport "des clubs et des hommes" (PDF) qui souligne l'impact économique et social du football pro. De ce point de vu, nous recommandons une lecture attentionnée et critique en rappelant qu'un rapport de la cour des comptes de 2009 pointait sévèrement les modalités de soutien des collectivités territoriales aux clubs professionnels. 

du beau monde
Dans l'équipe du 22 mars, Jean-Pierre Louvel contextualise ces rencontres :  depuis Knysna l'image du foot de haut niveau est "écornée", le fardeau fiscale est de plus en plus lourd, on a pas encore les stades, la formation à la française n'assure plus un avantage compétitif, François Hollande y va de ses 75% alors même que le foot pro est solidaire (en interne entre la L1 et la L2 par les mécanismes de redistribution des droits TV et en externe vers le foot et le sport amateur), ajoutez à cela que la France pointe désormais à la sixième place du classement UEFA. C'est à se demander si nous allons conserver notre place dans le Big5 à moins qu'il ne s'agisse déjà plus que d'un Big4 et que la France sombre inexorablement dans la seconde division du foot continental.
En introduction de la journée, Frédéric Thiriez, Président de la LFP, se déclarait "en campagne" pour défendre le foot contre l'acharnement qu'il subit, bouc-émissaire idéal en temps de crise. Nathalie Iannetta qui assurait l'animation le brocardait gentiment en le comparant à un mixte de Mélanchon et Coppé avec des moustaches. La matinée consacrée à 4 ateliers pouvait commencer (le programme ) : 
  • Clubs et médias
  • Clubs et compétitivité économique
  • Clubs et pouvoirs publics
  • Clubs et compétitivité sportive
oui oui j'y étais !
Le compte rendu assuré dans l'équipe du 23 mars accordait une large place à la dimension sportive, quoique, à mon humble avis, cela n'était pas le plus intéressant des débats.
Car, faut-il le rappeler, la réflexion sur les leviers de croissance du football favorisant une compétitivité économique et donc sportive est engagée depuis longtemps. Vous souvenez vous du rapport Besson de 2008 "Accroître la compétitivité des clubs de football professionnel français" ou encore de l'ambitieux plan Thiriez "FootPro 2012" qui visait à faire du championnat de France le troisième à l'indice UEFA, qu'un club français gagne la Ligue des Champions d'ici 2012, que 50% des joueurs de L1 soient internationaux, que 15 stades soient rénovés, que 25% de la recette des clubs proviennent de la billetterie etc. et cela avant 2012. 

Bref, mon camarade caennais Ludovic Lestrelin (@lestrelin) allait assister à la table ronde "clubs et pouvoirs publics", Nicolas Scelles (@scenic82) se dirigeait vers "clubs et compétitivité sportive", tandis que je préférais la table ronde "clubs et médias" animée par MM. Seydoux et Cayzac.

On y remarquait la présence de  Nasser al-Khelaïfi, Charles Bietry, Daniel Bilalian, Hervé Mathoux, Fabrice Jouhaud... Hubert Artus (@hubartus89) s'est appliqué à rappeler la dimension culturelle du foot (je fais de la pub pour son bouquin ! ), @marypatrux et @1darrentulett balançaient quelques tweets et moi je m'impatientais, qu'entre Médias et Clubs, on ne parle pas du client, du consommateur, du supporter, du fan, de l'usager, du lecteur, auditeur, (télé)spectateur, appelez ça comme vous voulez, mais en bref du public. 

Arrive enfin le moment dédié au numérique et je dois dire avoir été quelque peu surpris par la méconnaissance qu'ont les dirigeants pour le social media comme outil stratégique de développement par sa capacité à optimiser une fan experience digitale. Je ne sais pas si tout le monde autour de la table avait en tête ces quelques données sur le digital fan nord-américain :

Selon Kwarter
  • Les stades sont les seconds lieux dans lesquels les fans se géolocalisent
  • 40% des fans se déclarent l’être plus encore depuis qu’ils suivent leur sport sur les réseaux sociaux

Selon GMRmarketing
  • 81% des gens envisagent internet comme la meilleure source d’information sur le sport (41 % twitter/Facebook – 40% websites). 
  • Devant un match à la télé : 83% consultent les réseaux sociaux
  • Dans le stade : 63% consultent les réseaux sociaux

Selon National Survey commissioned by Motricity
  • 79% des sports fans ont utilisé leur Smartphone en 2011 pour suivre ou regarder du sport
  • 87% d’entre eux consultent leur Smartphone à un moment inapproprié (en réunion, en rendez-vous)
  • 50% prétextent aller aux toilettes pour consulter le score. 
  • 1/3 des sports fans qui utilisent leur Smartphone vont double task lors d’un autre divertissement (cinéma, concert…)
Sans oublier que (faut-il commenter?) :

Source : http://www.sportsfangraph.com/, relevé le 19 mars 2012

C'est un grand pas en avant que d'enfin considérer le match comme une expérience comme l'a indiqué Jean-Claude Blanc (peut-être mes étudiants saisissent-ils maintenant l'intérêt du cours de marketing expérientiel) : 

"Le stade ne doit pas seulement exister, il doit être conçu autour du spectateur. L'expérience du spectateur commence avant d'arriver au stade, quand il commande son billet. Il doit être mieux traité. L'expérience du spectateur, c'est voir un spectacle de qualité, vivre un avant-match positif, et au retour retrouver sa voiture là où il l'a laissée ou avoir un accès facile aux transports en commun"


Cela dit, ce serait une erreur stratégique de considérer que le spectacle sportif est limité au stade ou à la télé. L’expérience stade ou le matchday experience  trouve maintenant des extensions digitales. Car le spectacle sportif ne doit plus être seulement vu mais vécu. A quoi bon ressentir des émotions si on ne peut les partager dans l'instant même?

Aux prémices de l’internet, le site officiel d’un club générait de l’information et du multimédia : score, fiches de joueurs, histoire du club, informations sportives, interview exclusive, photos et vidéos. Puis, le fans ont pu prendre la parole pour discuter entre eux (internet forum) et dialoguer ponctuellement avec les personnalités du club (chatroom). Enfin, les fans sont en mesure de générer du contenu directement lié à leur club favori (partager des photos, des vidéos, des informations et des émotions) mais aussi d'interagir (entre eux, avec le club, avec des sportifs). Le club n’est plus le seul dépositaire de sa présence numérique. Engagé activement dans sa relation à son club favori, le fan étend son domaine de l’expérience au delà du stade pour la digitaliser : se géolocaliser dans le stade sur foursquare, suivre l'évolution des scores sur twitter, partager une émotion sur facebook, diffuser des photos sur instagram, revoir un ralenti sur une plateforme vidéo : voilà des pratiques émergentes mais en pleine croissance.





Expérience digitale vécue au Stade d'Ornano (Caen), via Instagram

oui oui je suis Mayor du Stade d'Ornano !


Dorénavant, l'organisateur de spectacle sportif doit prendre cela en compte. En février 2012, lors de son All-Star Week End, la NBA a mis en place une solution multiplateforme pour optimiser le digital Fan Experience. Le NBA.com Social Spotlight agrégeait des tweets de fans, des photos et des vidéos.  Le NBA all-star pulse, mesurait l’activité digitale de l’événement. Les fans ont été impliqués puisqu’ils ont désigné le vainqueur en utilisant le hashtag #SpriteSlam sur Twitter.
Ce faisant, la NBA encourage ses fans à produire du contenu. Car la ligue nord-américaine a compris qu'elle pouvait numériquement mobiliser ses fans de part le monde autour d'un évènement ponctuellement localisé. Plus encore, ces fans loyaux participent de fait à la promotion et la diffusion de la marque NBA auprès de leurs pairs. 

Melissa Rosenthal Brenner, la NBA Vice President of Marketing déclare donc :
"Our mission for All-Star is the same as our goal every day of the year, which is to enhance our fans' engagement and enjoyment of the game. And that's really what social media is for us. It's a way for fans to interact with each other on a global basis. We look at everything from trending topics to individual post engagement on Facebook, as well the volume and sentiment of mentions across all platforms," Rosenthal Brenner added. We'll put out a pretty robust analysis post All-Star on volume, sentiment, as well as key tweets or Facebook status updates that really tell the story of what fans feel about our game and feel about the event itself."


Allons plus loin encore : alors que des clubs français se demandent s'il est nécessaire d'équiper leurs stades en wifi, des stades 2.0 voient le jour.
Voyez le Livestrong Sporting Park de Kansas City.



Disons le franchement, les clubs français sont déjà en retard. Il est périlleux de considérer qu'une page facebook fait bien l'affaire. Il y a tellement à faire pour favoriser la proximité avec ses fans, l'interactivité, et l'activation. Et pour cela, nulle besoin d'être un club riche ou une grande ligue internationale. Pour vous en convaincre, parcourez ces sites spécialisés sur le sport et le digital : 




SportBizInside (mon camarade @karoutcm)


A quand un maillot de l'OM floqué @10APG ?


Bien entendu il existe en France des initiatives, relayées par exemple par Sport Numericus, mais les clubs français ont-il pris la mesure du retard accumulé? Ont-ils saisi qu'une stratégie digitale favorisait leur visibilité à l'international, optimisait leur CRM, faisait de leurs fans les plus fidèles les co-producteurs de la marque? Et que pour cela il fallait des moyens humains et des solutions techniques qui aillent au delà du community manager stagiaire ou du M-Stadium qui se contente pour l'essentiel de dématérialiser le billet?

Pendant la table ronde je remarquais malicieusement que Darren Tullet avait plus de followers (24 226) que les clubs de L1 n'avaient d'abonnés. Si Darren était un club, il serait 4ème en affluence derrière Paris, Marseille et Lyon mais devant tous les autres ! Ce à quoi on m'a rétorqué "oui mais combien paient ses followers?!". Peut-être le problème est-il justement d'aborder le digital par le prisme du monetize, du ROI et du revenu potentiel. Peut-être les clubs français entameront leur mutation numérique lorsqu'ils auront compris que ce qui ne génère pas de revenus directs n'est pas pour autant sans valeur.


Je vous donne rendez-vous jeudi 29 mars dès 9h00 pour la deuxième édition des assises sporsora (@sporsora). Le programme est passionnant et j'assurerai un live tweet.

9 commentaires:

  1. "Peut-être les clubs français entameront leur mutation numérique lorsqu'ils auront compris que ce qui ne génère pas de revenus directs n'est pas pour autant sans valeur."

    Exactement, c'est tout à fait juste.

    Au-delà de l'aspect digitale, la relation fan-club s'arrête bien trop souvent à la simple rencontre de football qui se déroule le samedi ou dimanche pendant 90 minutes. Il y a énormément de travail à faire là-dessus, sur le fan relationship management mais je n'ai pas l'impression que les clubs s'y intéressent réellement l'ayant proposé moi-même à quelques clubs. Les clubs ont tendance à se focaliser, peut être avec excès, vers les partenaires, mais ils devraient garder à l'esprit que c'est la masse qui attire les sponsors et pas l'inverse.

    L'aspect négatif de cette expérience digital c'est le fait qu'aujourd'hui on cherche plus à faire partager son émotion, ce qu'on voit au moment présent qu'à le vivre réellement et l'amplifier. Il n' y a qu'à voir sur les tifos, chants etc. où les portables sont de sortie

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    1. Même pendant le match, la relation fan-club est souvent très limitée... Combien de stades où la sono ne fonctionne pas correctement partout, par exemple ?

      Quant à l'aspect négatif, il se retrouve également dans les concerts, les spectacles, les musées, bref, partout ! Charge à ceux ayant pour mission de faire vivre l'évènement à ne pas se laisser submerger par cette tendance.

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  2. Merci de cette réaction est bravo à vous, vous êtes le premier à y aller de votre commentaire sur Hell of Sport !

    je vous rejoins en partie et invite le lecteur à consulter ce billet de Mark Cuban (proprio atypique des Mavs de Dallas: The Fan Experience at Sporting Events – We dont need no stinking smartphones !


    http://blogmaverick.com/2011/12/24/the-fan-experience-at-sporting-events-we-dont-need-no-stinking-smartphones/

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    1. Toujours de très bons articles et un suivi de près de l'actu sport digital marketing sur Twitter, c'est très appréciable de vous suivre. Je tiens à préciser (ça marche pour moi comme pour beaucoup d'autres) que ce n'est pas parce qu'on ne commente pas que l'on ne lit pas ou que l'on n'apprécie pas le contenu proposé. Même si pour les aficionados du digital, l'interactivité est le maître mot ;)

      Merci pour l'article.

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  3. Merci pour cet article très instructif !
    Je crois que nous sommes au stade embryonnaire du sport dans les médias sociaux. Le rêve de tout supporter a été d'être joueur de football, il cherche par tout moyen à vivre cette expérience. Le Social Media doit lui permettre de se rapprocher de ce rêve. Il faut absolument donner au fan une relation continue, une vie de footballeur, un match de footballeur, lui donner l'impression qu'il influence un match.
    Bref nous devons explorer tous les outils d'interaction pour donner au supporter la sensation de faire partie de l'équipe.

    Merci pour l'article.

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  4. Je trouve votre article vraiment instructif. Etudiant désireux de se spécialiser dans le marketing sportif à l'avenir, je me dois de vous remercier pour cet embryon de cours !

    Les clubs sportifs français sont en retards, c'est indéniable. A la limite, seul Max Guazzini (ancien président du Stade Français) avait opéré un semblant de changement dans son approche de la relation avec les supporteurs / fans. Peut-être pas sur le 2.0, mais c'était déjà ça !

    La NBA (et les ligues américaines) est clairement un exemple à suivre en terme d'engouement populaire. J'ai été très largement impressionné par leur système de #Hashtag pour Slam Dunk Contest, même si au final, ça décrédibilise le résultat final et le niveau de cette "compétition".

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    "Peut-être les clubs français entameront leur mutation numérique lorsqu'ils auront compris que ce qui ne génère pas de revenus directs n'est pas pour autant sans valeur."

    Pas de revenus directs, mais tellement de revenus indirects. Les fans, qui se sentent plus "impliqués", seront plus enclins à consommer par la suite pour prolonger cet aspect communautaire.

    Tout ça pour dire, vous donnez des cours à quelle école ? Seulement au STAPS à Caen ? Je pense vous suivre sur twitter.

    www.florianbianchini@wordpress.com (Je l'écris ici, car je n'arrive pas à poster alors que je suis logé sous Wordpress...)

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    1. Je m'occupe pour l'essentiel du master 2 MDS de l'UFR STAPS de Caen : http://caensportmanagement.blogspot.fr/

      J'y enseigne surtout le marketing et l'économie du sport. Il m'arrive à l'occasion d'intervenir dans d'autres Universités dispensant des formations "management du sport" (Rouen, Paris XI, Lille)

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  5. Analyse très pertinente que je partage.
    Tout est à faire. Mais il est bien connu que les français prennent le temps de se décider avant de se lancer.
    Mais pour terminer sur un note optimiste : les clubs semblent avoir conscience et la volonté de se lancer dans le social média. Le "parcours client" semble également être le nouveau chantier des directions marketing.

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    1. le parcours client relève de ce que les marketers appellent l'expérience de consommation. Mon hypothèse est que l'offre digitale des clubs participe plus largement d'une expérience globale. Le digital permet en effet des extensions de consommation au delà du stade (finalement global) et au delà de la durée du match (finalement 24/24 7/7). C'est une idée que je défends dans un chapitre de synthèse consacré au sport et aux réseaux socionumériques.

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