L'affaire des paris suspects dans le handball soulève son lot de questions sur le couple sport-spectacle/paris sportifs. D'aucuns cherchant à préserver la beauté du sport, son intégrité et sa pureté proposent simplement d'interdire les paris. Voyez par exemple l'édito de Christophe Barbier (halte aux paris sportifs) qui, cela dit en passant, laisse entendre à tort que la France aurait "créé des paris sportifs" récemment. Il confond l'ouverture du marché des paris sportifs avec la possibilité de parier qui existe depuis bien longtemps. C'est d'ailleurs là l'objet de ce billet. Mon idée n'est pas de minorer les dérives, déviances, menaces potentielles ou encore de négliger tout ce qu'on peut dire des paris sur le terrain du droit, de la norme, de la régulation et de l'éthique. En m'appuyant sur des extraits de ma thèse, je veux simplement montrer en quoi le sport moderne et les paris sont indissociables.
L’une des caractéristiques du sport est exprimée simplement par Huizinga, « la partie commence et prend fin au signal donné » (Huizinga, 1951, p. 29). Elle s’exerce dans un champ temporel et/ou spatial limité : un cent mètres ou un tour du monde, deux mi- temps de quarante-cinq minutes au football, deux ou trois sets gagnants au tennis etc. L’incertitude sportive est donc une incertitude de finalité qui implique un champ ouvert des possibles, c’est-à-dire une dimension subjective de la perception probabiliste des choses en fonction des informations que l’on possède. Au regard des forces en présence, des classements en vigueur, de l’historique des affrontements entre opposants, on peut établir un pronostic. C’est ainsi qu’opposant la catch (spectacle) à la boxe (sport régulier), Roland Barthes voit dans le noble art « la montée d’une fortune » nécessitant « une science du futur » (la fortune étant entendue comme la puissance qui préside au hasard) (Barthes, 1957).
Eclairer un futur incertain par le recours aux probabilités, c’est faire un pari sur l’avenir. Jacques Defrance, s’appuyant sur les travaux de Wohl (1964), explique d’ailleurs que « la première poussée dans le sens d’une égalisation des chances des concurrents par une organisation méthodique des épreuves répond à l’objectif de rendre possibles les paris sur le résultat du match, ce que ne permet pas une partie trop déséquilibrée » (Defrance, 2000, pp. 12-13). S’inspirant également des travaux de Wohl, Michel Bouet relève le rôle primordial des paris dans le développement du sport spectacle. On y apprend qu’au XVIIIème siècle, on appréciait les courses sur longs parcours qui maintenaient un suspense et donc l’espoir des parieurs (Bouet, 1995). Certes, les spectateurs avaient déjà misé sur l’issue d’une rencontre, mais comme le précise Umminger, « le pari c’était toujours une sorte de jeu de hasard, accessoire d’un événement sportif qui aurait eu lieu de toutes manières. Les Anglais, au contraire, parièrent sur des exploits sportifs qui n’étaient entrepris qu’en raison de ce pari » (Umminger, 1964, p. 237).
C’est dans Journal des haras du 1er mai 1828 qu’on relève la première apparition du mot « sport » dans un texte français. Il est défini comme l’ « ensemble d’activités hippiques et des paris. » En 1875, lorsque le mot entre dans l’usage courant de la langue, Pierre Larousse l’intègre à son grand dictionnaire universel du XIXème siècle : « Par le mot sport, dont l’équivalent n’existe pas dans notre langue et dont la signification en Anglais n’est pas bien précise, on désigne une nombreuse série d’amusements, d’exercices et de simples plaisirs qui absorbent une portion assez notable du temps des hommes riches ou oisifs. [...] Tous ces amusements ou exercices doivent leur attrait principal aux nombreux paris qu’ils font engager; la fureur de parier sur tout et à propos de tout forme un des traits saillants du caractère anglais ; cette folie se répand chaque jour davantage en France, et bientôt, nous n’aurons rien, sous ce rapport, à envier à nos voisins. »
Par l’intermédiaire des paris, le sport-spectacle s’est développé à l’époque moderne en favorisant la recherche d’une incertitude mobilisatrice. Toute autre entreprise semble vouée à l’échec : Michel Bouet note le cas d’un promoteur de spectacle sportif anglais qui au cours du XVIIIème siècle, a essayé de mettre en place, sans succès, des combats totalement inégaux entre deux ou trois adversaires contre un seul (Bouet, 1995, p. 321).
Barthes, R. (1957). Mythologies. Paris: Editions du Seuil.
Bouet, M. (1995-1ère éd. 1968). Signification du sport: L'Harmattan.
Defrance, J. (2000-1 ère éd. 1995)). Sociologie du sport. Paris: La Découverte.
Huizinga, J. (1951-1ère éd. 1938). Homo ludens. Essai sur la fonction sociale du jeu. Paris: Gallimard.
Umminger, W. (1964). Des hommes et des records. Paris: La table ronde.
Ce billet est un extrait de ma thèse intitulée "Régulation des ligues sportives professionnelles : une approche géographique. Le cas du football européen (1975-2005). " et soutenue en 2007 (lien vers le zip)
Pour aller plus loin, voyez la contribution de mon camarade Ludovic Lestrelin "2012-1993 et vice versa". De l'affaire des paris en handball à l'affaire VA-OM en football. Quelques enseignements".
Parcourez aussi le blog de Declan Hill l'auteur de "The Fix".
En 2008, Bruno Durieux rédigeait un rapport intitulé "L'ouverture du marché des jeux d'argent et de hasard". Voyez aussi le rapport Jean-François Vilotte (2011) : "Préserver l'intégrité et la sincérité des compétitions sportives face au développement des paris sportifs en ligne"
On peut également faire des pronostics. On n'est pas obligé de parier de l'argent. 85% des paris sont illégaux et les origines sont multiples selon le reportage suivant :
RépondreSupprimerhttp://www.dailymotion.com/video/xqnnbp_sport-mafia-et-corruption-part-1_news
Les réseaux mafieux se délectent. Les sommes jouées sont immenses. Vouloir les encadrer pour mieux les contrôler est une noble cause mais n'est-elle voué à n'attraper que des benêts et de laisser courir les autres gros poissons bien plus malins ? Cela ressemble à un traitement de fortune et j'ai bien peur que le sport médiatisé soit condamné à terme. Quel temps cela prendra-t-il ? Mystère.
Il faudrait une coalition internationale de tous les instants. Le PMU plus fort que l'ONU ?