mardi 26 février 2013

Le financement public des stades et arenas aux Etats-Unis

Le Super Bowl XLVII opposant les Ravens aux 49ers s'est disputé au Mercedes-Benz Superdome de la Nouvelle Orléans. Saviez vous qu'à 97% ce stade a été financé sur fonds publics?

Parce que le sport-spectacle nord-américain est organisé pour maximiser les profits, on le considère comme totalement privatisé ou, du moins, sans lien avec les collectivités locales. Bon nombre de mes étudiants pensent que les stades appartiennent (et sont donc financés) par les franchises. C'est précisément le contraire. L'organisation en ligue fermée permet aux propriétaires d'équipes de faire pression sur les villes pour obtenir de nouvelles installations. Ainsi, Robert A. Baade et Victor A. Matheson, des économistes du sport, ont relevé une dépense totale de 30 milliards de dollars dans les équipements sport des 5 grandes ligues (NBA, NFL, MLB, NHL, MLS) depuis 20 ans. Pour plus de la moitié, c'est l'argent public qui a financé ces nouveaux stades et arenas. En m'appuyant sur quelques extraits de ma thèse, je vous livre une explication économique. 

Dans le système nord-américain, le souci de rentabilité prévaut sur le bien-être des fans. Pour Danielson, «les observateurs de la scène sportive accueillent rarement une délocalisation avec bienveillance. Au mieux, déménager des équipes est considéré comme un mal nécessaire dans un monde gouverné par le profit ; au pire, bouger une franchise est perçue comme le résultat de manipulations avides entreprises par des radins » (Danielson, 2001, p. 135). Ces considérations financières heurtent les supporters dont l’attachement à l’équipe est de l’ordre de l’affectif (Reeves, 1996). Fernquist (2001) établit même un lien entre le taux de suicides et la délocalisation d’une équipe. La rupture du lien affectif entre un fan et son équipe entraîne une exaspération telle qu’elle peut entraîner la mort volontaire.

L’annonce d’une délocalisation provoque généralement la mobilisation des fans sans qu’ils puissent empêcher l’opération d’aboutir. C’est ainsi qu’émergent de multiples projets de protection des fans dont l’un des plus influents est mis en place par Ralph Nader. Le projet « League of Fans » se propose ainsi de protéger les fans ou les citoyens/contribuables face aux décisions commerciales des équipes jugées offensives ou déviantes. Les villes sans équipe font tout pour en obtenir une et les villes en possédant une font tout pour la conserver. Etre hôte d’une équipe de ligue majeure, c’est accéder au statut de véritable grande ville. Emmanuel Cleaver, maire de Kansas City, envisageait ainsi la présence de son équipe de NFL : « sans les Chiefs et les Royals, Kansas City ne serait rien de moins qu’une autre Wichita... ou Des Moines... ou Omaha. »

Oui, Cameron Diaz a sa place dans ce billet ! Pourquoi? réponse à la fin de l'article

Dans la concurrence entre villes pour obtenir une équipe, la possibilité de délocaliser constitue un puissant levier de négociation avec les pouvoirs publics locaux (Greenberg, 2000; Owen, 2003). La motivation principale d’une délocalisation est de bénéficier de conditions avantageuses avec la nouvelle ville hôte. Les négociations se font sur la mise à disposition d’un équipement sportif neuf. Rascher et Rascher expliquent qu’ « un facteur clé d’une délocalisation est la recherche de meilleurs revenus issus des installations sportives. Des propriétaires soutiennent que la hausse des revenus provoquée par la mise à disposition d’une nouvelle salle place la franchise dans une meilleure position pour recruter des joueurs de qualité, conduisant ainsi à une meilleure équipe qui attire donc encore plus de fans, donc plus de revenus et ainsi de suite » (Rascher & Rascher, 2004, p. 275).

Modalités de financement des arenas NBA (en haut) et stades NFL (en bas) : source Baade & Matheson (draft, 2011)

La municipalité envisage un équipement sportif comme un bien public générant des retombées économiques et sociales : création d’emplois, dynamisation du tissu urbain, activité économique en hausse etc. Toutefois, de nombreuses analyses tempèrent l’impact supposé d’un nouvel équipement (Bast, 1998; Cagan & deMause, 1998; Grant Long, 2005; Irani, 1997; B. K. Johnson & Whitehead, 2000). Noll et Zimbalist affirment qu’ « une nouvelle installation sportive n’a qu’un effet très réduit (sinon même négatif) sur l’économie et l’emploi. Aucun des équipements récents n’apparaît avoir atteint quelque chose approchant un raisonnable retour sur investissement. Aucun des équipements récents n’a été auto-financé en termes de taxes sur les revenus qu’ils génèrent... Les bénéfices économiques des équipements sportifs sont des plus faibles » (Noll & Zimbalist, 1997, p. 17).

La délocalisation est brandie comme  une véritable menace pour imposer la construction d’un nouvel équipement. L’injonction des propriétaires est « build it or we’ll move » (Bruggink & Zamparelli, 1999). Cette situation est rendue possible par la stratégie d’allocation limitée des équipes. La ligue distribue   moins d’équipes que ne pourrait en supporter le marché. La crainte d’une localité de perdre une équipe au profit d’un marché potentiel non exploité facilite le subventionnement des stades. Fort et Quirk précisent que « les équipes ont la possibilité d’extorquer de larges subventions des collectivités locales grâce à leur force de monopole. S’il existait plusieurs ligues concurrentes dans un même sport, la simple recherche du profit conduirait de fait à des expansions dans les villes pouvant supporter plusieurs équipes et le chantage appartiendrait au passé. Il n’y aurait plus la possibilité, comme c’est le cas de nos jours, de sous-exploiter des localisations profitables pour menacer les collectivités locales » (Quirk & Fort, 1992, p. Xxiv).

Source : Animated Infographic, Watch As America’s Stadiums Pile Up On The Backs Of Taxpayers Through The Years

Rodney Fort explique la stratégie de la menace d’une délocalisation en s’appuyant sur le cas de Tampa Bay (Fort, 2002, p. 140). Au début des années 1990, la ville de Floride investit 200 millions de dollars dans la construction du Suncost Dome pour prouver qu’elle est en mesure d’héberger une franchise. Aucune équipe de baseball n’est attribuée à ce marché si bien que le stade reste non exploité. Dès lors, Tampa Bay devient une believable threat location. Les Chicago White-Sox, les San Francisco Giants et les Seattle Mariners laissent alors planer l’éventualité d’un déménagement en Floride si leur ville hôte ne consent pas à construire un nouveau stade. Les trois franchises obtiennent finalement de nouvelles installations.

Maintenant, vous pouvez comprendre pourquoi :

  • Dans l'épisode “A Tale of Two Springfields”, Homer Simpson déclare « Voila, on est officiellement une ville... Y’a plus qu’a attendre qu’on nous propose de racheter une équipe de foot. », Saison 12, épisode BABF20. 
  • Los Angeles, deuxième plus grande ville des états-unis, n'a pas de franchise NFL. Pourtant, un projet de stade à l'initiative d'AEG est bien avancé.

Bibliographie

  • Bast, J. L. (1998). Sports Stadium Madness. Why It Started - How To Stop It. HeartlandPolicy Study(85)
  • Bruggink, T. H., & Zamparelli, J. M. (1999). Emerging Markets in Baseball: An Econometric Model for Predicting the Expansion Teams' New Cities. In J. Fizel, E. Gustafson & L. Hadley (Eds.), Sports Economics: Current Research. Westport (Connecticut), London.
  • Cagan, J., & deMause, N. (1998). Field of schemes : How the Great Stadium Swindle turns public money into private profit. Monroe (ME): Common Courage Press.
  • Danielson, M. N. (2001). Home Team, Professional Sports and the American Metropolis:University Presses of California, Columbia and Princeton.
  • Fernquist, R. M. (2001). Geographical relocation, suicide, and homicide: An exploratory analysis of the geographic relocation of professional sports teams in three U.S. areas and the impact on suicide and homicide rates. sosol - Sociology of Sport Online, 4(2).
  • Fort, R. (2002). Sports Economics: Prentice Hall.
  • Grant Long, J. (2005). Full Count: The Real Cost of Public Funding for Major League Sports Facilities. Journal of Sports Economics, 6(2), 119-143.
  • Greenberg, M. J. (2000). Stadium Financing and Franchise Relocation Act of 1999. Marquette Sports Law Journal, 10(Spring), 383-399.
  • Irani, D. (1997). Public Subsidies to Stadiums: Do the Costs Outweigh The Benefits? Public Finance Review, 25(March), 238-253.
  • Johnson, B. K., & Whitehead, J. C. (2000). Value of Public Goods from Sports Stadiums:The CVM Approach. Contemporary Economic Policy, 18(January), 48-58.
  • Owen, J. G. (2003). The Stadium Game: Cities Versus Teams. Journal of Sports Economics, 4(3), 183-202.
  • Noll, R. G., & Zimbalist, A. (1997). Sports, Jobs and Taxes. Washington, D.C.: Brookings Institution Press.
  • Quirk, J., & Fort, R. (1992). Pay Dirt: The Business of Professional Team Sports. Princeton, N.J.: Princeton University Press.
  • Rascher, D., & Rascher, H. (2004). NBA Expansion and Relocation: A Viability Study of Various Cities. Journal of Sport Management, 18(3), 274-295. 

Pour aller plus loin

vous pouvez consulter le blog "Field of Schemes" animé par les auteurs de l'ouvrage éponyme. Sur ce blog, j'ai abordé la stratégie des ligues dans quelques billets : "OKC en finales NBA" et "la diffusion des ligues majeures"

Bonus

Dans cet extrait d'Any Sunday Given (1999) d'Oliver Stone (pdf du script) le staff de Christina Pagniacci (Cameron Diaz) - propriétaire des Sharks de Miami - vient de discuter avec le Gouverneur de Californie de la délocalisation de la franchise. Plus tard dans le film, Christina se plaint au maire de Miami de jouer dans un vieux stade et fait pression pour en obtenir un nouveau.

2 commentaires:

  1. Salut. C'est pareil en France non ? Heureusement qu'avec tout ce qu'ils nous tapent, ils peuvent bosser un peu qd même !
    Mais où sont les lobbies des sportifs en pleine santé, ceux qui ne vont pas chez le médecin, qui font pas chier le monde et remplissent plus les caisses qu'ils ne la vident ? Moi je vote pour un bonus-malus des cotisations de mutuelle: celui qui prend une licence et cumule des heures de sport voit ses frais de santé diminuer ! C'est bon pour les clubs car on comprend bien sur HoaS que c'est porteur éconmiquement ! Celui qui gére est rétribué de ses efforts !
    Euhhh ! Je m'emballe un peu là non ? Ok je sors @+
    @AntoLeb

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  2. Salut.
    Etudiant en Master 2 aménagement des équipements sportifs et de loisirs, je dois réaliser un projet collectif portant sur la création ou la rénovation d'un stade à l'intérieur d'une université. Je rencontres quelques problèmes sur le faite de mettre en avant qu'une telle infrastructure peut être un centre de profit pour l'université. J'aurais souhaité savoir quels types de logiques peuvent être mis en place pour que cela soit un centre de profit et un centre de ressources pour l'université. C'est à dire comment faire que cet équipement ne soit pas seulement un coût pour l'université?
    Merci par avance pour votre attention ;)

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