vendredi 20 novembre 2015

Ronda Rousey a perdu. Tant mieux pour elle.

source rds.ca
Ronda Rousey a perdu. La surprise est énorme tant l'américaine dominait ses adversaires et abrégeait ses combats en quelques secondes. La médaillée olympique de judo était devenue la première attraction de l'UFC. Avatar de la pop culture, très active sur les médias sociaux, élue athlète féminine de l'année aux ESPYS 2014, Ronda Rousey semblait imbattable. Mais voilà, elle a perdu - par KO au second round - face à Holly Holm devant 55 000 spectateurs (record d'affluence pour l'UFC). Et si cette défaite lui était bénéfique?

version augmentée d'un billet publié sur l'Observatoire du sport business

Pure Monopoly is a disaster

En 1964 Walter C. Neale publie article fondateur de l'économie du sport dans le Quaterly Journal of Economics. Il soutient qu’en matière de sport professionnel, contrairement à la théorie économique, une situation de monopole est plus néfaste qu’une situation concurrentielle. Là réside selon lui la particularité économique du sport qu'il s'applique à étayer par le paradoxe "Louis-Schmelling". Il explique  : 
"But now consider the position of the heavy-weight champion of the world. He wants to earn more money, to maximize his profits. What does he need in order to do so? Obviously, a contender, and the stronger the contender the larger the profits from fighting him. And, since doubt about the competition is what arouses interest, the demonstration effect will increase the incomes of lesser fighters (lower on the rating scale or lighter on the weighing scales). Pure monopoly is disaster: Joe Louis would have had no one to fight and therefore no income." (Neale, W. C. (1964). The Peculiar Economics of Professional Sport: A Contribution to the Theory of the Firm in Sporting Competition and in Market CompetitionQuarterly Journal of Economics, 78(1), pp. 1-2) 


Né en 1914, le boxeur afro-américain Joe Louis Barrow entame sa carrière professionnelle en 1934. Il sort victorieux de ses 27 premiers combats en en remportant 23 par K.O. Surnommé le « Brown Bomber », Joe Louis apparaît rapidement comme invincible. Ainsi ses prestations perdent-elles de l’audience alors même qu’il est au sommet de son art. Néanmoins, il connaît sa première défaite le 19 juin 1936 face à l’Allemand Max Schmeling. L’événement, inattendu, captive à nouveau la passion du public. La revanche a lieu le 22 juin 1938 au Yankee Stadium à New York devant 70 000 spectateurs. Le combat est programmé sur 146 stations radiophoniques à travers les Etats-Unis. On estime à 68 millions le nombre d’Américains qui suivent la retransmission (63,6% d’audience). 97% des New-Yorkais possédant une radio auraient écouté le match. Il suffit de deux minutes et quatre secondes à Joe Louis pour remporter une cinglante victoire. Le « Brown Bomber » empoche ce soir là 350 000 dollars alors qu’il n’en avait gagné que 300 000 au cours de ses 18 premiers mois de professionnalisme. Le paradoxe souligné par Neale est le suivant : les revenus de Louis ont été très fortement majorés par une défaite. Une moindre performance sportive, en rééquilibrant la perception du public quant à l’issue du match suivant, relance l’intérêt et donc les revenus de tous les protagonistes, y compris du présumé dominant. 

Perfection can get boring in sports

Avant le 14 novembre, Ronda Rousey en était à 12 victoires, sans jamais être allée à la décision des arbitres. Elle n'avait disputé que 14 rounds sur 36 possibles. Ses trois derniers combats n'avaient duré que 34, 14 et 16 secondes soit tout juste un peu plus d'une minute en cumulé. Or, le spectacle sportif est avant tout une organisation de l'incertitude pour reprendre Paul Yonnet. Que regardons nous lorsqu'il n'y a plus de rivalité? Le sociologue  explique :
"A la description du premier système, on comprend que l'absence que l'absence de suspense, ou la trop grande et irréversible domination d'un champion, pose un problème de viabilité du spectacle. Pour le restaurer, on substitue alors aux adversaires incompétents et systématiquement dominés, ou absents, des adversaires abstraits, théoriques : c'est le record auquel on somme le champion de se mesurer, et qui va d'ailleurs mesurer ses mérites devant "l'histoire".  (…) Accumuler des titres à l'issue de rencontres incertaines ne nuit pas à l'intérêt du sport. Les accumuler à l'issue de rencontres, de matches ou de courses se déroulant sans surprise et enregistrant d'écrasantes dominations, même si le champion est alors confronté à un déplacement du défi de la victoire vers le record et l'accumulation, met gravement en cause l'existence même du sport-spectacle." (Yonnet, P. (2004), Huit leçons sur le sport. Paris : Gallimard. pp 86-87)
Lorsqu'elle était invaincue, un combat de Rousey était le énième épisode de la série (au sens mathématique comme tévévisuel) de son invincibilité. Le spectacle n'était pas dans l'intensité dramatique d'une rivalité réelle construisant de l'incertitude. Le combat ressemblait à une exhibition sans autre enjeu que sa duré et la continuité de l'invincibilité. Alors oui, l'UFC perd son storytelling de l'extraordinaire domination de cette athlète, mais elle gagne bien plus encore : une relance de l'équilibre compétitif, de l'enjeu, un regain d'intérêt et potentiellement des meilleurs revenus. Ronda Rousey était médiatisée parce qu'elle était invincible. Peut-être sera t-elle maintenant appréciée parce qu'elle est vulnérable. En effet, comme l'explique Jason Gay dans le Wall Street Journal
"In the coming months, will the league promote Holm as its Next Big Name, or simply a nemesis with a victory the beloved Rousey must avenge? There will be those who wonder if the “Rousey effect” and UFC’s commitment toward women’s fighting—on Sunday, another women’s title match preceded Rousey-Holm—will remain as vigorous. (...) For Rousey, there’s a different opportunity. Surely the loss stings— invincibility was an undeniable part of her mystique, especially for mainstream casual fans. (...) Perfection can get boring in sports. Vulnerability, by contrast, is relatable, and often builds the public’s empathy."
Ainsi aurait-elle eu 120 000 followers de plus depuis sa défaite et reste la sportive la plus suivie sur les médias sociaux. Il y a donc fort à parier que la revanche, déjà évoquée par Dana White le boss de l'UFC, sera l'un des combats les plus suivis de l'histoire du MMA. Et cela permettra à Rousey de maximiser ses revenus bien plus que si elle était encore invaincue, parce qu'à vaincre sans péril, on triomphe sans gloire.  

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